Christian CAILLARD et la réalité poétique par Mathyeu LE BAL

  • Galerie de Bretagne

Christian Caillard (1899-1985)

Réalité Poétique

Ils étaient 8.

"Avant la guerre 1939-45, ils avaient étudié ensemble et se firent connaître dans les Académies de Montparnasse et les Salons de la capitale. Ils devinrent amis. Le conflit passé, dans ce paysage dévasté, enseveli, d’un monde de l’entre-deux-guerres qui n’existait plus, ils se retrouvèrent et formèrent en 1949, à Paris, le groupe des « Peintres de la Réalité Poétique ». L’abstraction occupait alors tous les esprits et régnait de façon presque tyrannique sur les éboulis d’une figuration qui ne retenait plus l’attention de la mode. Ce groupe pourtant singulièrement figuratif ouvrait une autre voie, celle d’une vision d’un bonheur retrouvé aux couleurs revenues. S’inscrivant dans la tradition d’un Pierre Bonnard ou d’un Henri Matisse, ils posèrent une distance nécessaire face à l’agitation d’un monde déboussolé afin de retrouver le goût du réel et la saveur du temps. Ils partagent alors en commun cette quête des lumières profondes et des soleils qui persistent malgré les hivers. Ils s’efforcent de saisir ce frissonnement de la peinture qu’ils savent si fragile, maniant avec prudence leur propre sensibilité à fleur de toile.

Ce groupe sera composé par Maurice Brianchon (1899-1979) ; Jules Cavailles (1901-1977) ; Raymond Legueult (1898-1971) ; Roger Limouse (1894-1989) ; Constantin Terechkovitch (1902-1978) ; André Planson (1898-1981) ; Roland Oudot (1897-1981) et Christian Caillard (1899-1985).


De Paris à Ouessant

Christian Caillard est né à Clichy en région parisienne. Il est le neveu de l’écrivain Henri Barbusse qui l’encourage dans sa future vocation. Lors de sa formation à l’Académie Billoul, il fait la connaissance d’Eugène Dabit, le futur auteur de l’Hôtel du Nord, qui devient son ami. Autre moment déterminant de sa vie, en 1923, Christian Caillard rencontre le peintre Maurice Loutreuil qui sera son maître. Ses débuts seront influencés par l’expressionnisme de Loutreuil. Il s’en dégagera très vite, soucieux de gagner son indépendance. Loutreuil meurt prématurément à l’âge de 39 ans ; il lègue ses toiles à Christian Caillard. C’est dire la confiance et l’estime qui régnaient entre les deux hommes.

 

 

Christian Caillard va conduire la peinture dans un voyage au long cours. Explorant un monde de matières et de couleurs. Ce sera la découverte du Maroc, puis l’Indochine, Bali, La Martinique, Tahiti, l’Espagne, le Mexique, Madagascar, Ceylan, Bora-Bora, le Népal et bien sûr la Bretagne. Ses couleurs se parent des paysages traversés. Loin d’une vision topographique, il est un chroniqueur de la peinture elle-même, le voyage comme prétexte à son questionnement. Au regard de ses œuvres transparaît la joie, un désir de voir, une envie des saveurs inconnues de l’infini visible. Une œuvre pensée, entre clarté et douceur. Il acquiert une solide maîtrise technique, le coup de pinceau est sûr et libéré.

En 1935 il trouve son port d’attache parisien dans le 9earrondissement, rue Clauzel. Son atelier est situé tout près de l’illustre boutique du Père Tanguy, le marchand de couleur des Impressionnistes. Il y restera jusqu’à la fin de sa vie. En 1957, il expose avec « les Peintres de la Réalité Poétique ». En 1963, c’est la consécration, Caillard bénéficie d’une rétrospective à la Galerie Durand-Ruel.

Volet Vert, Volet Bleu.

Le peintre découvre l’île d’Ouessant en 1956. Il est subjugué par la beauté de l’île qui deviendra son refuge jusqu’à ses derniers jours. Entre enfermement et ouverture. L’île va correspondre parfaitement à sa peinture, par ses phénomènes atmosphériques et ses variations de lumières, tout en alternances de violence et de douceur. A l’exemple de ces verts au milieu de bleus affrontant sans cesse les gris. Sa peinture fait corps avec les éléments, d’une agitation à l’autre. Du grain d’un ciel noir se déversant sur le grain de la toile, on traverse le coup de tabac. Sur cette même toile, l’éclaircie surgit tout aussi brutalement.

Mais ce qui fait la force des peintures d’Ouessant de Caillard c’est qu’il peint l’île intérieure et non la mer. Le piège du banal est évité. Face à la beauté ébouriffante des rivages de l’île, la tentation est si forte de vouloir peindre ce choc de l’immense en colère et de la terre. Caillard comprend comme nul avant lui que c’est la création elle-même qu’il a sous les yeux. Il va alors intérioriser ce spectacle. Il ne peint pas la mer, ce si fort motif que même le plus grand des peintres n’aurait pas d’intérêt à défier tant il offre à voir l’absolu. Caillard peint l’intérieur des terres et surtout les maisons ouessantines. Celles-ci deviennent les uniques figures présentes, dressées seules contre les tempêtes. Leurs regards aux volets couleurs de ciels ou d’océans. Il n’y a personne. C’est un monde enclos, protégé par un muret de pierres sèches et une barrière fourbue où résistent quelques bleus éclatants. La présence du phare éclaire la mousse des mauves et le jaune des ajoncs. Des chemins de terres ne mènent nulle part, à moins qu’ils ne cheminent en les ocres de l’intime. Le ciel est bas, entre gris de la mer et bleus des nuages. Bas à l'image magnifique du «  très bas » du poète Christian Bobin.

Christian Caillard a si bien saisi la Bretagne, jusqu’à son archétype, l’île. Très peu sont parvenus à dompter la puissance d’un tel motif, Caillard l’a fait."

Mathyeu Le Bal

(Photos : collection particulière DR)

Exposition "du monde à Ouessant". du 27 juillet au 24 août. Gratuit. du mardi au samedi 15H-19H

eEpace Armor Lux.  ZI Kerdroniou Quimper

 

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